Étudiants|

Fait exceptionnel, inédit peut-être, le nombre d’étudiantes et étudiants boursiers a baissé de 3,9 % dans l’enseignement supérieur français en 2021-2022. Signe, à nouveau qu’en France, ce système chargé de permettre l’accès des classes populaires à l’enseignement supérieur est à bout de souffle, peinant à combler les inégalités qu’il est censé corriger ?

Il faut savoir que les bourses concernent 650 000 personnes, soit 4 jeunes sur 10 inscrits dans les établissements publics (et près de 70 000 dans le privé, en forte croissance) pour un total de 2,4 milliards d’euros. Les boursiers et boursières sont majoritairement concentrés dans les filières moins prestigieuses, les territoires moins dynamiques et les établissements distanciés dans la course aux classements internationaux de « l’excellence ». Rappelons, en comparaison, qu’avec la demi-part fiscale supplémentaire accordée aux parents d’enfants inscrits dans le supérieur, des personnes très bien loties bénéficient aussi d’une aide financière aux études : avec ce système, les familles les plus aisées reçoivent 1,7 milliard d’euros chaque année.

On peut dès lors s’interroger sur le caractère réellement redistributif de ce système, d’autant qu’il peine à aider suffisamment les plus démunis : même à l’échelon le plus élevé (qui concerne les jeunes qui ne peuvent compter sur aucun soutien financier familial), la bourse reste sous les 600 € par mois, très loin du seuil de pauvreté (1063 €), même après la revalorisation de 4 % décidée pour la rentrée 2022 et censée compenser l’inflation.

Taux de boursiers

Plus pernicieux, le système de bourses est devenu un outil de communication politique depuis 2007 et le mandat de Valérie Pécresse sous Nicolas Sarkozy : plutôt que de se concentrer sur l’accès des enfants des classes populaires aux établissements prestigieux, c’est le taux de boursiers qui est devenu l’indicateur central de l’ouverture sociale. Le nombre de boursiers a en effet augmenté rapidement pendant ce quinquennat, passant de 495 000 à 647 000, soit une hausse de plus de 31 %.

C’est qu’un nouvel échelon, l’échelon 0, avait été ajouté, donnant droit à une bourse de… 0 euro mais permettant d’être exonéré de frais d’inscription universitaire – ce qui ne représente au final qu’un soutien de 10 à 20€ par mois, une inscription en licence étant fixée à 170 euros par an, en master à 243 euros par an.

Lors de son introduction en 2007, l’échelon 0 regroupait 9 % des boursiers, il est monté à 21 % en 2011. Pour sortir de ce maquillage des chiffres trop évident, l’échelon 0 a disparu pendant le mandat Hollande, absorbé dans l’échelon supérieur, mais pas vraiment l’échelon 1 (180€ par mois) plutôt un demi-échelon introduit juste avant, l’échelon 0bis à 100€ par mois : on comprend l’urgence de clarifier le système ! Cet échelon minimal regroupe près d’un tiers des boursiers.

De surcroît, avec le mécanisme des points de charge permettant de prendre en compte le nombre de frères et sœurs ainsi que la distance entre le domicile des parents et l’établissement d’inscription, les bourses sont également attribuées à des enfants des classes moyennes. On peut ainsi être boursier ou boursière avec des parents déclarant jusqu’à 95 000 € annuels.

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Des discussions sont ouvertes au ministère de l’enseignement supérieur pour faire évoluer le système des bourses. C’est du moins ce qui a été annoncé fin septembre lors de la conférence de presse de rentrée du ministère de l’enseignement supérieur. Mais aucune enveloppe n’est prévue pour 2023, d’après le bleu budget, le document qui précise les financements publics, ce qui fait douter de la volonté d’aboutir prochainement, malgré l’urgence criante de la précarité étudiante, particulièrement visible pendant le Covid avec les files d’attente à l’aide alimentaire, malheureusement toujours bien réelles.

Deux modèles de financement

Dans la perspective du débat qui s’annonce, la nature du soutien qui sera accordée aux étudiants dira beaucoup de la conception que le gouvernement se fait de l’éducation et de la voie dans laquelle s’engagera notre système d’enseignement supérieur. De fait, les perspectives qui s’offrent à nous renvoient à deux conceptions différentes de son financement :

  • La première est celle d’une éducation conçue avant tout comme un investissement, dans la pure tradition de la théorie du capital humain, chère à des auteurs comme Gary Becker. Dans ce cadre, l’étudiant est le principal bénéficiaire des études et les études n’ont de valeur que par les gains monétaires qu’elles engendrent pour l’individu. On comprend dès lors qu’elles ne peuvent être logiquement choisies qu’en fonction du retour sur investissement espéré par l’étudiant et lui seul, motivé par le seul appât du gain ;
  • Radicalement différente, une deuxième conception considère que les études forment d’abord un investissement collectif dont les bienfaits sont essentiellement sociaux. Dans cette perspective, il apparaît naturel que les citoyens ayant bénéficié d’un accès aux études contribuent à la société par leurs activités, de même qu’en payant des impôts, les facultés contributives des diplômés étant généralement supérieures.

Ces deux perspectives se retrouvent à grands traits respectivement dans le modèle d’enseignement supérieur anglo-saxon et dans le modèle des pays d’Europe du Nord : en Angleterre, aux États-Unis ou en Australie, les frais de scolarités frôlent (ou dépassent parfois allègrement) les 10 000 euros par année d’études. Ces frais élevés ne sont nullement contradictoires avec les bourses : pour assurer un peu d’ouverture sociale, des bourses peuvent être accordées à quelques étudiants pour les aider… à payer une partie de ces frais d’inscription. Néanmoins, avec ou sans bourse, les étudiants sont poussés à s’endetter, en même temps qu’ils construisent des stratégies de rentabilisation de cet investissement, à travers le choix des filières empruntées et leurs débouchés professionnels.

Il en résulte de multiples effets pervers. L’endettement qui pèse sur la vie des jeunes actifs peut les conduire à des choix fort peu utiles socialement, à tel point que, face à de tels effets, la faculté de médecine de la très prestigieuse New-York University a décidé en 2018 de rendre gratuites des études jusque-là fort coûteuses : les choix de spécialités peuvent désormais être faits davantage selon des besoins médicaux que des enjeux de remboursements de prêts. Cette question de l’endettement est devenue un enjeu financier aux États-Unis – minés par plus de 1600 milliards d’euros d’encours de dettes – et politique – avec la récente et historique annulation des dettes étudiantes par Joe Biden.

En contrepoint du modèle anglo-saxon, au Danemark, les études sont gratuites et tous les étudiants reçoivent une allocation d’autonomie pouvant atteindre autour de 800 euros, si l’étudiant n’habite pas chez ses parents.

La possibilité d’une allocation universelle ?

En posant la question du financement des études, le gouvernement français nous pousse à choisir entre ces deux voies, entre ces deux conceptions de l’éducation et, au fond, entre deux modèles sociaux : celui d’une éducation par capitalisation, radicalement individualiste, ou celui d’une éducation par répartition, fondamentalement socialisée. C’est aussi choisir entre une vision des études comme une enfance prolongée, durant laquelle on reste dépendant de ses parents, ou une entrée dans une autonomie permise par une société solidaire.

Il est à craindre, en lisant les conseillers du Président Macron et en analysant les choix politiques du dernier quinquennat, que l’option anglo-saxonne ne soit celle privilégiée par le gouvernement. Quelques efforts tactiques sont à attendre de l’exécutif pour faire passer la pilule d’un tel choix : en Angleterre déjà, des bourses – les Maintenance grants.) – avaient été créées pour les étudiants méritants des milieux populaires, en même temps qu’un système de « prêts à remboursement conditionnel » était institué. Depuis 2016, ces bourses ont disparu au profit des seuls prêts…

Il y a pourtant une autre voie possible pour notre système éducatif : celle qui consisterait à revenir aux fondamentaux du préambule de la constitution établissant la gratuité de l’éducation, et aux fondamentaux de notre modèle d’assurance social en créant, comme au Danemark, une allocation universelle d’autonomie. Une telle allocation pourrait être financée par l’extension des cotisations relevant d’une branche de la sécurité sociale ou par un impôt progressif. Elle constituerait une forme de solidarité intergénérationnelle, à l’image des retraites, mais en direction des jeunes générations. Son montant pourrait être raisonnablement de 1000 euros par mois pour les étudiants ne bénéficiant pas du logement familial et de 600 euros par mois pour les autres.

En refondant le système d’aide actuel, ce choix de société représenterait un effort annuel de 19 milliards d’euros : une somme certes importante mais de nature à contribuer à une réelle refondation de notre modèle social en conformité avec ses valeurs originelles. Le Président de la République souhaitait des propositions pour le Conseil national de la refondation : en voilà une !

Hugo Harari-Kermadec, Professeur d’université, Université d’Orléans et David Flacher, Enseignant-chercheur, Université de Technologie de Compiègne (UTC)

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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